VASSIGH François
N° étudiant :
15603939
Philosophie Paris 8 en
L3
Pour la validation du cours :
Violence politique : l’état d’exception,
la force et le droit
Pr. Ninon GRANGÉ
« L’état
d’exception » comme l’essence de l’État
A partir d’une étude de « l’état
d’exception comme paradigme de gouvernement »
de Giorgio
Agamben
Giorgio Agamben, dans le premier chapitre de son
livre paru deux ans après le « 11 septembre » 2001 sous le titre
de L’état d’exception comme paradigme de gouvernement 1,
se propose de montrer que « l’état d’exception » a toujours été et
l’est encore aujourd’hui dans l’histoire moderne - des « démocraties »
aux États totalitaires, dictatoriaux, fascistes etc. - une machine, « une technique »,
étatique pour limiter les droits, les libertés et en somme la démocratie. Plus
que jamais, l’état d’exception, l’état de siège etc. sont devenus dans nos
jours, selon Agamben, un paradigme de gouvernement.
À l’échelle planétaire, tous les États recourent
souvent aux restrictions légales ou non des droits et des libertés. Au nom
d’une situation exceptionnelle et légitimée par la
« nécessité », guerre extérieure mais surtout insurrection etc., l’atteinte
« provisoire » mais souvent durable à la démocratie, aux libertés
fondamentales et aux Droits de l’homme devient la règle générale dans le monde actuel
tel que nous vivons.
L’état d’exception, souvent difficile à définir,
s’est appliqué et s’applique généralement pour sauvegarder les intérêts fondamentaux
et vitaux de l’État face aux dangers qui le menacent et qui mettent en péril son
existence et sa domination.
L’état d’exception ne reflète-t-il pas, en
réalité, l’essence véritable de l’État ? Tout État n’est-il pas, en un
certain sens, « d’exception » au sens « d’exclusion», une idée
de Barbara Cassin, par rapport à la « démocratie » telle
qu’elle est conçue à son commencement au sens originel de politeia grec que
nous appelons démocratie directe ou démocratie contre l’État (formulation
de Miguel Abensour) ?
L’état
d’exception n’est-il pas la force latente et toujours prête à s’activer de
l’État de droit moderne fondé sur la démocratie représentative, lorsqu’il
est menacé par la démocratie radicale ? Celle qui s’émerge de l’intervention
directe des sujets collectifs lorsqu’ils agissent pour prendre en main leur propre
vie et pour s’émanciper de la domination de l’État, du capital, de la religion
etc.? Celle qui se manifeste, particulièrement, en ces temps de crise
permanents, à travers les luttes, les grèves, les résistances populaires, les révoltes
des masses etc. ?
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Il n’existe, selon Agamben, aucune
« théorie cohérente » de l’état d’exception 2. Les
juristes ou les politiques n’ont pu se mettre d’accord jusqu’à aujourd’hui sur une
définition précise et incontestable de ce type de gouvernance auquel ont
recours maintes fois les États dans l’histoire moderne, depuis le 19ème
siècle.
Néanmoins on a pu donner quelques définitions à
l’état d’exception en tant que notion juridico - politique :
- Le point de déséquilibre entre le droit public
et le fait politique. 3
- La réponse immédiate du pouvoir d’État aux
conflits les plus extrêmes comme la guerre civile, l’insurrection ou la
résistance. 4
- Une structure originale où le droit se suspend. 5
une situation de « pleins pouvoirs » où
l’exécutif aura le pouvoir de promulguer des décrets ayant force de loi. 6
- Un ordre politique pour une période exceptionnelle
(donc point « normale ») imposé par une « nécessité ».
Nécessité qui ne reconnaît aucune loi.
- La délégation des pouvoirs législatifs au
pouvoir administratif pour faire face à un péril imminent.
- Un état de non droit « provisoire ».
Il faut savoir que l’état d’exception est une
invention moderne datant de l’avènement des État-nations. Agamben le souligne bien
en affirmant que c’est une création de la tradition démocratico-révolutionnaire
et non absolutiste. 7
Il est vrai que dans les systèmes autoritaires
et totalitaires comme la dictature, le fascisme, le nazisme, le stalinisme, le pétainisme,
le franquisme, le péronisme, l’islamisme etc., « l’état d’exception »
en tant que situation provisoire où le droit s’estompe au profit du non-droit n’a
aucun sens. Dans ces régimes, face à un supposé ennemi (extérieur ou
intérieur), c’est plutôt « l’état de droit » qui serait provisoire et
« l’état d’exception » permanent.
Par ailleurs, dans les situations révolutionnaires,
telles qui ont vu le jour avec la Révolution française de 1789 ou la Révolution
russe de 1917, on se trouve, là aussi, en présence d’un nouvel État autoritaire
qui, à la faveur de la révolution du peuple, prend la place de l’ancien État et
imposera son autorité, par la force, pour installer et conserver son pouvoir et
sa domination. Tout cela, cette fois, se fera (bien sûr !) au nom du « Peuple »
et de la « Révolution » et contre les « Ennemis » permanents
de la révolution, ce qui va demander par conséquent l’exercice d’un état
d’exception aussi permanent.
Selon les
pays et leurs traditions étatiques, on utilise des terminologies différentes
pour nommer « l’état d’exception ».
Dans la doctrine étatique allemande, on utilise
souvent le terme Ausnahmezustand qui veut dire «l’ état de
nécessité » ou « l’état d’urgence ».
En France et en Italie, on parle plutôt de « décrets
d’urgence » ou de « l’état de siège ».
Dans la doctrine anglo-saxonne, Angleterre, les Etats-Unis
etc., les termes comme martial law ou emergency powers sont plus
courants. 8
Mais toutes ces nominations sont plus ou moins équivalentes
et peuvent au bout du compte se traduire par « l’état d’exception »
que nous définissons ainsi :
L’état
d’exception est un état où le pouvoir exécutif est amené à sortir du cadre légal
des lois et de la Constitution en vigueur ( ou à modifier ce cadre) pour
répondre au plus vite et pour une période provisoire à une situation de crise majeure,
une nécessité, considérée comme périlleuse pour la vie et la poursuite du
pouvoir d’État.
L’histoire des états d’exception sous diverses
formes comme l’état de siège, l’état d’urgence etc., dans le monde dit
« démocratique », depuis au moins la Révolution française jusqu’à
aujourd’hui, coïncide dans l’ensemble avec des grands évènements qui ont mis en
danger l’existence et la survie des systèmes de domination étatique.
En France, l’état de siège trouve son origine durant
la Révolution où le nouvel ordre étatique bourgeois établi à la faveur de
celle-ci cherchait à asseoir sa base, une nouvelle domination, par la force des
armes et de la guillotine et cela non pas seulement face aux ennemis intérieurs
et extérieurs mais aussi, et surtout il nous semble, face à une plèbe radicale,
les sans-culottes... qui voulaient continuer la révolution.
La guerre franco-prussienne et surtout la Commune
de Paris en 1871 coïncident avec la
généralisation sans précédent de l’état d’exception qui sera proclamé dans quarante
départements et qui reste en vigueur dans certains d’entre eux jusqu’en 1878. 9
Une telle ampleur à l’échelle nationale de « l’état d’exception » (et
non seulement pendant la guerre) prouve bien que c’est la peur des masses et de
leur révolte contre le système qui se trouve à l’origine de la mesure. Dans
l’article 1er de la loi du 4 avril 1878 on lit notamment :
« péril imminent dû à une guerre extérieure ou à une insurrection armée 10 ».
Or on sait qu’en 1878 le danger imminent d’une nouvelle guerre extérieure n’existait
plus. Par contre le spectre de la Commune hantait les classes dominantes en
France et ailleurs en Europe.
La première guerre mondiale entre les puissances
colonialistes pour opérer un nouvel partage du monde coïncide avec la mise en
place de l’état d’exception permanent qui va durer bien au-delà de la fin de cet
horrible carnage.
Au cours de la seconde guerre mondiale, de 1939
à 1945, l’État français, sous le pétainisme, proclame l’état de siège permanent.
Toute l’activité législative demeurait en permanence dans les mains du pouvoir exécutif. 11
Tout cela au service d’un ordre fasciste en collaboration directe avec le
nazisme allemand.
On trouve aujourd’hui en France l’idée de l’état
d’exception dans la Constitution de la cinquième République à travers son
article 16. Celui-ci établit que le président de la République peut prendre des
mesures nécessaires « lorsque les institutions de la République,
l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de
ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate
et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est
interrompu 12». En 1961, le général De Gaulle a utilisé cet article
en conservant les pleins pouvoirs pendant des mois bien au-delà de quelques
jours qui a duré le putsch des généraux d’Alger.
En mai 1968, alors que toute
la France est en grève générale, De Gaulle, peut-être tenté par mettre en
application l’article 16 de la constitution pour venir à bout du mouvement qui
a paralysé tout le pays et ses institutions jusqu’au risque de se voir en
pénurie d’essence, se rend à Baden-Baden où les forces armées françaises sont
stationnées et rencontre des chefs militaires, parmi lesquels le général
d’armée Massu, commandant des forces françaises en Allemagne, et le général de
corps d’armée Beauvallet, gouverneur militaire de Metz et commandant la VIème
région militaire. 13 Mais finalement il préfère suivre la voie
d’un autre article de la constitution qui lui donne le pouvoir de dissoudre l’Assemblée
nationale pour organiser de nouvelles élections. Par cette habile tactique il a
réussit à mettre fin au mouvement de Mai 68 avec la complicité des partis de
gauche.
En
Allemagne, les gouvernements de la République de Weimar (1919-1933) font un
usage perpétuel de l’article 48 de la constitution pour proclamer l’état
d’exception. L’article précise en effet : « Si dans le Reich
allemand la sécurité et l’ordre public sont gravement perturbés ou menacés, le
président du Reich peut prendre les mesures nécessaires au rétablissement de la
sécurité et de l’ordre public, éventuellement avec l’aide des forces armées. À
cette fin, il peut suspendre tout ou partie des droits fondamentaux 14».
Les divers gouvernements de droite et même socialistes se sont servis de cet
article pour emprisonner des milliers de militants communistes et antinazis et
pour instituer des tribunaux spéciaux pour condamner à la peine capitale les opposants
de gauche.
En 1968, le gouvernement
de la « grande coalition » (SPD et démocrates-chrétiens) fait voter
une loi d’intégration de la constitution allemande qui introduit l’état
d’exception comme « état de nécessité intérieure ». Selon elle,
l’état d’exception peut s’appliquer non seulement pour la sauvegarde de la
sécurité et de l’ordre public, mais aussi pour la défense de la
« constitution démocratico – libérale 15». Désormais, la « démocratie »
telle qu’elle existe aujourd’hui, la démocratie libérale et représentative, devient
une forme absolue contre laquelle on ne peut s’opposer pour la dépasser et
aller vers une autre démocratie. Cela veut dire en un mot que le gouvernement
libéral peut aller jusqu’à enfreindre sa propre loi et suspendre l’état de
droit pour sauvegarder le système libéral en instaurant l’état d’exception.
En Italie, la
constitution républicaine établit par l’article 77 que « dans les cas
extraordinaires de la nécessité et d’urgence » le gouvernement peut
adopter « des dispositions provisoires ayant force de loi ». Agamben
précise que « la pratique de la législation gouvernementale par décret-loi
est devenue la règle en Italie. Le parlement n’est plus l’organe souverain auquel revient le pouvoir exclusif d’obliger
les citoyens par la loi : il se limite à ratifier les décrets promulgués
par le pouvoir exécutif. Au sens technique, la république n’est plus
parlementaire mais gouvernementale 16 ».
En Angleterre, c’est
dans une période de grèves et de mouvements sociaux que l’on a approuvé ce qui
ressemble à « l’état d’exception » dans le sens d’une technique
gouvernementale pour parer aux
« perturbations venant des groupes». Le 29 octobre 1920 l’Emergency
Powers Act est adopté. Dans son article 1er, sa Majesté peut
déclarer « l’état d’urgence » en cas de perturbations dans la
fourniture et la distribution de nourriture, d’eau, de carburant ou
d’électricité ou encore les moyens de transport. Et dans son article 2, His
Majesty in Council a le pouvoir de promulguer des règlements et de conférer
à l’exécutif « tout pouvoir nécessaire pour le maintien de l’ordre »,
en introduisant des tribunaux spéciaux (courts of summary juridiction) pour
ceux qui transgressent la loi. Agamben ajoute : « Même si les
peines infligées par ces tribunaux ne pouvaient excéder trois mois de prison
(« avec ou sans travaux forcés »), le principe de l’état d’exception
venait d’être résolument introduit dans le droit anglais 17».
Aux États-Unis, c’est dans le premier article de
la constitution que l’on trouve la référence à un possible état d’exception
dans le cas d’une rébellion : « le privilège du writ of habeas corpus [ordonnance
qui énonce une liberté fondamentale, celle de ne pas être emprisonné sans
jugement] ne sera pas suspendu, sauf si, en cas de rébellion ou d’invasion, le
salut public (public safety) l’exige 18 ». Mais le
conflit entre les pouvoirs du président (le pouvoir exécutif) et ceux du Congrès
(le pouvoirs législatif) pour appliquer l’état d’exception a souvent été
factice et cela s’est confirmé depuis la guerre de sécession jusqu’à
aujourd’hui. Le Congrès, bien que conscient que la légalité constitutionnelle
est transgressée a souvent ratifié les actes du président dans le sens de
prendre les pleins pouvoirs, de promulguer l’état d’urgence ou d’exception en autorisant
l’arrestation et le passage en cours martial.
C’est, souligne Agamben,
dans la perspective de cette revendication des pouvoirs souverains du président
dans une situation d’urgence qu’il faut considérer la décision du président
Bush de se désigner constamment lui-même, après le 11 septembre 2001,
comme Commander in chief of the army. Bush [a] créé ainsi une
situation où l’urgence est devenue la règle 19».
À la lumière de ce qu’on vient de voir à travers
cette brève histoire de l’état d’exception dans les pays dits démocratiques (on
ne s’intéresse pas aux États totalitaires ou dictatoriaux dans lesquels l’état
d’exception est perpétuel) et à partir de ce qui est amplement exposé par
Agamben dans son livre, on peut souligner les trois principales caractéristiques
de ce qu’est « l’état d’exception » dans la réalité et pas seulement en
théorie comme le discours dominant s’efforce de nous le présenter.
1. L’état d’exception est présenté par le
discours dominant comme une situation temporaire. Mais l’histoire des faits, l’agissement
des États tels qu’ils sont, jusqu’à aujourd’hui, et principalement dans les
temps de crise qui sont de plus en plus fréquents, confirme souvent
l’inverse de cette temporalité provisoire : l’exception perdure et devient
la règle.
2. L’état d’exception est fondé, selon le
discours dominant, sur une nécessité et comme on dit : Necessitas legem non habet (la nécessité
ne reconnaît pas la loi, n’a pas de loi). Or cette « nécessité » est
celle qui est déterminée, définie, établie, imposée, inventée ou créée par l’ État.
Souvent, comme on l’a vu, c’est la nécessité de sauvegarder les intérêts de l’État,
la nécessité de son existence, de sa sécurité et de sa domination. Nécessité de
maintenir l’ordre existant face à tout ce qui le mettrait en péril.
3. L’état d’exception est présenté par le
discours dominant comme pouvoir de l’exécutif à transgresser le droit dans le
but de préserver le droit. Or l’histoire des faits confirme souvent qu’il
s’agit en fait de restreindre les droits fondamentaux, de porter atteinte aux
Droits de l’homme et des citoyens, de limiter les libertés fondamentales et
démocratiques.
C’est à travers ces trois sens de « l’état
d’exception » qu’Agamben parle de celui-ci comme le « paradigme de
gouvernement ». Paradigme, tel qu’il se met en place un peu partout dans
le monde, dans les « démocraties » actuelles en crise. Mais est-ce uniquement
un paradigme ? Est-ce seulement un modèle idéal de gouvernement ? Ou
s’agit-il en vérité de l’essence véritable de « l’État réellement existant »,
qui est mise en sommeil mais toujours prête à se faire jour chaque fois que l’État
se trouve face à ce qui se manifeste inéluctablement comme le « non-État »,
le « non-étatique », sous la bannière de
« l’autre démocratie », de la démocratie directe, de l’agir
émancipateur, de « la démocratie contre l’Etat » comme dirait Miguel Abensour
dans son retour à Marx lorsque celui-ci parle de la « vraie démocratie »
dans sa critique du droit politique hégélien. 20
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Les questions qui nous importent à poser, à la
fin de cette étude sur le paradigme de gouvernement d’Agamben, sont celles relatives
au rapport entre l’Etat, l’état d’exception et la démocratie.
La notion de « l’état d’exception » ne
reflète-t-elle pas en réalité, d’après ce qu’on a vu, l’essence même de l’État,
sa nature véritable, comme corps séparé, comme organe de domination et de
limitation de la démocratie comme pouvoir et agir illimité du peuple?
« L’état d’exception » n’est-il pas la
force latente et toujours prête à s’activer de l’État de droit moderne fondé
sur la démocratie représentative, lorsqu’il est menacé par la démocratie
radicale ?
La démocratie qui s’émerge
de l’intervention directe des sujets collectifs lorsqu’ils aspirent à
prendre en main leur propre vie et s’émanciper de la domination de l’État, du
capital, de la religion...?
La démocratie qui se manifeste,
particulièrement, en temps de crise, à travers les résistances populaires, les
révoltes, les grèves etc. ? Et par conséquent la démocratie qui va trouver
en face de soi, l’État, dans sa détermination stratégique et tactique,
technique, et répressive. Une machine d’État qui est prêt à violer ses propres
lois, enfreindre sa propre constitution, pour préserver sa domination.
Tout État n’est-il pas, en quelque sorte « État
d’exclusion » de la « démocratie »? Si l’exception est pris
au sens d’exclusion (une des significations du mot latin excipere 21),
alors « l’état d’exception » n’est-il pas « l’état d’exclusion»
de tout État, n’est-il pas un État-exclusion vis à vis de la
démocratie ? la « démocratie » au sens « vrai », originel
du terme, au sens de politeia grec, au sens de ce que Deleuze entend par
« l’agôn comme règle de la communauté des hommes libres en tant que rivaux
(citoyens) »22 et que nous appelons action et intervention
directe de la multitude, des hommes librement associés, de « l’association
libre »23, en dehors de toute « représentation », de
la domination de l’Un, de celle d’une
part sur une autre, des parts sur les sans-parts pour reprendre la formulation
de Rancière... de toute domination.
L’état d’exception n’est-il pas en effet l’état
normal de tout État face à la démocratie au sens du pouvoir du peuple, du
pouvoir de ceux qui n’ont aucun titre particulier à exercer le pouvoir, du
pouvoir collectif séparé de la machine d’État ?
L’état d’exception n’est-il pas finalement et en
dernière instance, à travers toute son histoire depuis le 19ème
siècle jusqu’aux « états d’urgence » de nos jours, la manifestation d’une
lutte agonistique et antagoniste, à l’image hégélienne de la lutte entre maître
et esclave, de deux intérêts et de deux logiques incompatibles qui
déterminent et définissent à la fois l’État (comme un organe contre la
démocratie) et la démocratie (comme mouvement contre l’État) ?
L’état d’exception ne prenne-t-il pas principalement sa raison d’être dans ce
conflit de fond que nous parle Abensour dans sa démocratie contre
l’Etat et que nous nous permettons en guise de conclusion à cette
étude de citer ci-dessous de larges extraits ?
« La forme-État s’autonomise, développe sa
logique propre (domination, totalisation, appropriation du nom d’Un) jusqu’à
oublier dans son arrogance la source d’où elle provient, jusqu’à se dresse
contre la vie du peuple et en briser toutes les manifestations qui n’entrent
pas dans la perspective qui est la sienne. Bref un conflit structurel entre la
logique de l’État d’une part et la logique de la démocratie de l’autre...
La démocratie... [est]... l’institution
déterminée d’un espace conflictuel, d’un espace contre, d’une scène
agonistique sur laquelle s’affrontent les deux logiques antagonistes, où se
déroule une lutte, sans répit, entre l’autonomisation de l’État en tant que
forme et la vie du peuple en tant qu’action. Lutte dans laquelle la
démocratie a tout à gagner à savoir que son adversaire permanent est la forme-État,
l’outrecuidance de l’État en tant que forme organisatrice ; et son arme
dans cette lutte, la réduction.
Dans un premier temps, il s’agit de faire avouer
à l’État que « la démocratie est l’énigme résolue de toutes les
constitutions » [Marx], que quelle que soit sa forme, il prend son origine
dans la souveraineté du peuple, dans le peuple comme agir ; dans un second
temps, après avoir dénoncé au grand jour la logique immanente de l’État –
autonomisation, totalisation, domination – il s’agit de mettre en œuvre la
réduction pour remettre à sa juste place « la constitution », la
réduire à un moment et seulement à un moment de la vie du peuple, et ouvrir,
grâce à l’espace ainsi reconquis la voie à une institution démocratique de la
société.
À suivre
l’affrontement de ces deux logiques, il apparaît que nous sommes loin des rêves
idylliques de l’État démocratique dont les théoriciens apparaissent comme des
marchands de sommeil qui répandent des illusions d’autant plus fallacieuses que
si l’on se tourne vers les origines de la démocratie, que rencontre-t-on à son
commencement, sinon une insurrection continue contre l’État. »24
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Notes
1.
État d’exception
- Giorgio AGAMBEN - Chapitre 1 : L’état d’exception comme
paradigme de gouvernement – Editions du Seuil –Juin 2003 – Pages 9 à 55.
2.
Ibid.,
p. 9.
3.
Ibid.,
p. 9.
4.
Ibid.,
p. 11.
5.
Ibid.,
p. 13.
6.
Ibid.,
p. 16.
7.
Ibid.,
p. 16.
8.
Ibid.,
p. 14.
9.
Ibid.,
p. 27.
10.
Ibid.,
p. 27.
11.
Ibid.,
p. 29.
12.
Ibid.,
p. 29.
13.
Le journal Le monde du 22.05.2008 : De Gaulle
rencontre Massu à Baden-Baden.
14.
État d’exception
op. cit. p. 31.
15.
Ibid.,
p. 32.
16.
Ibid.,
pages 34-35.
17.
Ibid.,
pages 36-37.
18.
Ibid.,
p. 39.
19.
Ibid.,
p. 41.
20. La démocratie
contre l’État – Marx et le moment machiavélien. Miguel Abensour.
PUF. 1997.
21.
Exclure ou inclure l’exception? – Barbara Cassin dans l’exception dans
tous ses états Editions Parenthèses. 2007. P. 14.
22.
Qu’est-ce que la philosophie. Gilles Deleuze, Félix Guattari. – Les
éditions de Minuit. 1999. P.14.
23.
Le manifeste communiste. Marx – Engels.
24.
La démocratie contre l’État. Op. ci. Pages 106-107.